La Seine, géographie aux temps anciens
ou « Le secret de ses boucles »
Conférence de Richard RUDAUX
Retour sur une conférence présentée
le 12 Octobre 2016 par Richard Rudaux
En étalant ses méandres au sein d’une large vallée, encadrée de falaises blanches et de coteaux verdoyants, la Seine nous semble immuable.
Pourtant bien avant l’arrivée de l’homme, la vallée de la Seine a subi de profonds changements liés à la nature du sous-sol, à la tectonique et aux variations climatiques. Ainsi, grâce à la géologie et à la géomorphologie, nous allons suivre l’évolution d’un paysage qui s’inscrit tout entier dans le bassin de Paris et que le fleuve et ses affluents ont en grande partie modelé pendant plus de
2 millions d’années.
LE BASSIN PARISIEN
Pour nous aujourd’hui, le Bassin Parisien représente
140 000 km² de bonnes terres, dont 79 000km² de bassin versant de la Seine, mais à l’origine, il y a plus de 400 Ma, le bassin parisien était une vaste dépression sédimentaire restée immergée sous des
eaux peu profondes jusqu’au plissement hercynien
(appelé aussi varisque / 350 à 245 Ma): les Ardennes,
les Vosges et le Massif central émergent, provoquant par là-même le soulèvement du Bassin parisien. Il restera émergé, avec présence de lagunes, jusqu’à la fin du Jurassique (144 Ma ).
Le bassin parisien au crétacé
Au début du Crétacé une transgression de la mer survient et le Bassin Parisien est de nouveau immergé pendant 79 Ma. Ce cycle sédimentaire (de -144 Ma à -65 Ma ) se caractérise par un important dépôt de craie blanche (150 à 300 m d’épaisseur ) qui
s’est formé dans des eaux très calmes où vont s’agglomérer de gigantesques quantités de restes organiques ainsi qu’un très important apport de phytoplancton. En même temps le fond du Bassin Parisien va s’enfoncer régulièrement (phénomène de subsidence). A la fin du Crétacé (65 Ma ), dans un environnement cataclysmique (mouvements sismiques, éruptions volcaniques, chute d’astéroïde), la mer va se retirer brusquement.
Le bassin parisien au cénozoïque
Durant le Paléogène (première moitié du cénozoïque),
le contrecoup de la tectonique alpine (orogénèse
alpine) entraîne progressivement le soulèvement du
Bassin Parisien par le Sud Est et son ouverture vers
la Mer du Nord. Cette période donne lieu à de
nombreux cycles sédimentaires dus à une série de
transgressions/régressions marines.
Le Bassin Parisien se comporte globalement comme
un lagon tropical peu profond ouvert sur la Mer du
Nord puis sur la Manche.
A l’Eocène, le Bassin Parisien bénéficie toujours d’un
climat tropical car il se situe à environ 38° de latitude
nord (l’équivalent des iles Baléares actuelles). La
température moyenne de l’eau est de l’ordre de 23/25°C.
Cette période va constituer un «point-chaud» de la
biodiversité : témoins les sables calcaires non
consolidés, appelés faluns, très riches en fossiles
parfaitement conservés, localisés sur les hauts-fonds
et les zones littorales du golfe marin qui recouvrait
alors le Bassin Parisien. On y a dénombré plus de
1500 espèces de gastéropodes et plus de 500
espèces de lamellibranches.
Nous sommes dans l’étage stratigraphique bien
connu appelé Lutétien.
A l’Oligocène, la plus importante transgression marine
du Cénozoïque va pénétrer par un couloir préfigurant
la vallée de la Seine et la vallée première de la Loire.
A cette période le Bassin Parisien est isolé de la Mer
du Nord et de la Manche : après le Stampien (fin de
l’Oligocène) la mer abandonne de façon définitive le Bassin Parisien, ne laissant qu’une immense étendue lacustre en son centre. Au Miocène, (première division du néogène), le lac s’assèche, alors que la bordure nord du Massif
Central, qui connait une forte activité volcanique, se relève.
Le soulèvement continu du Bassin Parisien, son
émersion, ses déformations sont toujours le
contrecoup de la surrection des Alpes. Le Bassin
Parisien commence alors à s’éroder, s’altérer et ses
paysages se modèlent. Une importante quantité de
matériaux détritiques (de roches essentiellement
cristallines) s’étale alors du Massif Central vers le
nord, jusqu’au Pays de Caux, en écoulements brutaux
sur un paysage ouvert comparable à une savane. Le
cours de la Pré-Seine pouvait avoir à cette époque 20
à 30 Km de large. Ainsi se crée un vaste glacis
orienté vers le Nord-Ouest, dans lequel s’inscrit une
large gouttière préfigurant en partie le futur cours de
la Seine. Notons que la Loire ne se jette pas encore
dans l’Atlantique mais file droit vers le nord et rejoint
cet important axe fluviatile au sud de Paris.
Il en subsiste aujourd’hui, sur les plateaux qui bordent
la Seine au sud de Paris, de vastes épandages de
cailloutis fluviatiles : les sables de Lozère.
Ce « Fleuve » des sables de Lozère, passait au sud
de Paris (plateau de Trappes) puis suivait
sensiblement la vallée de la Seine. On en observe les
derniers vestiges, datés du début du Pliocène, au
sommet des falaises du pays de Caux, notamment
près de Fécamp et Valmont.
La « Faille de la Seine » a, elle aussi, pu être un guide
pour le cours de notre Pré-Seine: d’orientation Nord
Nord-Ouest, elle longe la basse vallée actuelle pour
s’infléchir vers le sud à hauteur de Paris. Sa présence
correspond à un accident profond affectant l’ancien
socle varisque et aussi en partie aux failles associées
à l’anomalie magnétique du Bassin Parisien. Des
différences de rejet témoignent d’une activité répétée
au cours du Cénozoïque et confirmée par des
différences d’épaisseur des terrains de part et d’autre.
Durant le Pliocène un ultime contrecoup de
l’orogénèse alpine entraîne de nouveau une
surélévation continue de l’ensemble du Bassin
Parisien, occasionnant la bifurcation de la Loire vers
l’ouest, détourné ainsi vers l’Océan Atlantique, et
l’enfoncement de toutes les rivières : la Seine
acquiert, seule, son cours actuel. Sa vallée prend
naissance, empruntant cette « gouttière » inscrite à la
surface du Bassin Parisien. Le cours de la Seine est
désormais fixé
Le bassin parisien au pléistocène. (-2,56 Ma à aujourd’hui)
Au cours de la première partie de cette période, des
transgressions remonteront occasionnellement la
vallée fluviale de la Seine. Mais c’est le climat
périglaciaire et ses quatre dernières glaciations (de
Gunz, Mindel, Riss et Wurm selon la chronologie
climatique alpine) qui vont former le relief du Bassin
Parisien. Rappelons que la limite sud des glaciers se
situe au niveau des Ardennes. Conséquence : la
baisse du niveau des mers et le retrait de la Manche
vers l’Océan Atlantique. Cela va laisser un espace
émergé occupé par le « fleuve Manche » qui draine
tous les fleuves côtiers normands et provoque un
nouvel encaissement des vallées fluviales.
Notons que le « fleuve Manche » draine aussi à cette époque la Tamise et le Rhin. La jonction Atlantique-Mer du Nord par la formation de la gouttière de la Manche ne s’effectuera que vers -800 000 ans (à la fin du Pléistocène inférieur).
L’érosion modèle un paysage dénudé qui évolue vers
le relief actuel. Depuis la fin de la dernière glaciation,
il y a environ 10 000 ans, ce relief se couvre d’une
végétation de zone tempérée grâce à un
radoucissement généralisé.
LES PRINCIPALES PHASES DE L'EVOLUTION DE LA VALLEE
DE LA SEINE
La vallée de la Seine s’est modelée depuis le début
du Quaternaire et cette période, qui voit sa formation,
parait bien courte à l’échelle géologique. Mais son cours a été néanmoins très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. Au début du Quaternaire, la Seine coule encore au niveau des plateaux : en témoigne les sables et
cailloutis qu’elle a abandonnés sur diverses plateformes et buttes-témoins le long de la Seine actuelle (entre 75 et 100m d’altitude ). Commencés il y a environ 2 Ma, deux phénomènes de sens opposé, mais dont les conséquences
s’additionnent, vont avoir pour résultat l’enfoncement des vallées : le premier est le soulèvement épirogénique (c’est-à-dire lié au mouvement des domaines continentaux) du Bassin Parisien, le second est l’abaissement du niveau des mers (ou eustatisme) dû aux oscillations climatiques engendrées par les glaciations successives. Enfoncement d’abord rapide, en forme de gorge dans des assises dures (calcaire grossier ) enfoncement plus accentué vers l’aval que vers l’amont. A certaines époques, le niveau du fleuve va même descendre au dessous du niveau actuel. Cette variation négative a dépassé d’au moins 25 à 30m le fond des vallées actuelles : c’est aujourd’hui l’épaisseur des alluvions relevée dans les estuaires actuels. Ces estuaires sont d’ailleurs situés bien en amont de ceux de l’époque de
la régression maximum : le niveau océanique était plus bas de 100 m et la Seine se jetait dans le « fleuve Manche » entre les Cornouailles et le
Cotentin.
Terrasses et alluvions
Cet enfoncement progressif va se traduire par la formation des niveaux subhorizontaux appelés terrasses fluviatiles. Ces terrasses sont le résultat de l’incision dans les alluvions déjà déposées par le pré-fleuve : elles jalonnent les étapes de creusement en période froide. Les plus anciennes terrasses, formées d’alluvions
plus grossières (sables, galets et blocs ), attestent d’un fleuve plus important et beaucoup plus impétueux.
Les dépôts limoneux actuels de la basse terrasse ne résultent que de crues transportant de fines particules. Les terrasses fluviatiles se présentent ainsi de façon étagée sur le flanc des vallées, les plus élevées étant les plus anciennes. C’est ce qu’on peut observer de Rouen à l’embouchure. Mais elles ne représentent que de médiocres reliques sédimentaires d’autant plus qu’elles ne sont pas synchrones tout le long du fleuve.
Néanmoins ces terrasses recèlent d’intéressants
vestiges préhistoriques et paléontologiques,
fréquemment retrouvés parmi les alluvions. L’étude de
ces formations alluviales est donc précieuse pour
déterminer les variations de l’environnement de
l’Homme préhistorique qui a fréquenté les berges de
notre fleuve depuis au moins 250 000 ans.
Quant au nombre des terrasses, il a été l’objet de
nombreuses études et controverses : la synthèse de
J.P. Michel en 1972 revient à 5 terrasses étagées au
dessus du lit actuel.
Notons que l’amplitude des oscillations successives du fleuve fut à peu près partout la même, depuis le confluent de l’Yonne jusqu’à la Manche.
La pente reste globalement faible : rappelons que la Seine prend sa source à 446 m. Son cours est long de 777 km, ce qui donne une pente moyenne peu importante de 0,057%. Ce pourcentage, encore plus faible dans le cours inférieur, induira une vitesse réduite du courant et sera à l’origine de la formation des méandres.
L’autre cause de l‘enfoncement des vallées est le mouvement lent de surélévation de la Haute Normandie, qui dure depuis le Miocène supérieur, et qui c’est encore accentué depuis 2,5 Ma.
On estime ce soulèvement des plateaux (en Pays de Caux par exemple) à 120 m en 2 Ma., c’est-à-dire environ 6 cm par siècle. On estime que ce mouvement se poursuit aujourd’hui encore. La préservation de dépôts pliocènes et pléistocènes sur les plateaux du pays de Caux atteste de ce soulèvement.
Pour comprendre également l’ampleur de la vallée de la Seine et de ses affluents, il faut faire abstraction du climat tempéré actuel où la végétation abondante a tendance à figer les reliefs. Il faut se transporter pendant les périodes glaciaires ou régnaient alors un climat comparable à celui de l’Alaska et du Groenland actuels (climat périglaciaire ). L’existence d’un pergélisol pendant les périodes froides et les débâcles qui s’ensuivaient en été explique le gros calibre des alluvions anciennes et aussi l’accroissement considérable du débit des cours d’eau.
De nos jours en Alaska, ou il pleut deux fois moins qu’en Ile-de France, le débit des cours d’eau est au moins dix fois supérieur aux nôtres: en effet, sur un sol gelé et imperméable, ces cours d’eau vont divaguer dans un immense lit encombré d’alluvions grossières et de bancs de galets. On imagine ainsi la puissance érosive de tels courants, ce qui explique l’ampleur des vallées, difficilement concevable si l’on se réfère aux débits des cours d’eau actuels.
Profil des vallées
C’est aussi aux actions périglaciaires que l’on doit le
modelé des versants et la dissymétrie des vallées :
Les versants exposés au sud et à l’ouest, plus
ensoleillés et plus arrosés sont ravinés au moment du
dégel et sont donc plus raides que ceux faisant face
au nord ou à l’est, modelés seulement par la
solifluxion. D’où un profil transversal en V des vallées
de la Seine et de ses affluents en Ile-de-France qui
n’est absolument pas symétrique.
Les méandres
La Seine, dans sa partie inférieure, a dessiné une
succession de méandres au fur et à mesure de son
enfoncement, comme d’autres cours d’eau, la Marne
en particulier. Ce train remarquable de grands
méandres s’est installé à partir de la surface du
Pliocène (fin du Tertiaire) et a évolué jusqu’à la fin de
la dernière glaciation, il y a 10 000 ans.
Ces méandres présentent, si l’on se place dans le lit
du cours d’eau, une rive concave (externe), abrupte,
ou affleurent les roches du substrat et une rive
convexe (interne) alluvionnaire.
Le corollaire est donc que la rive concave possède
une pente forte et la rive convexe une pente faible.
L’arc de cercle formé par le méandre enserre un
espace dénommé lobe de méandre.
L’accentuation des méandres encaissés de la Basse
et Moyenne Seine s’est donc fait par un déplacement
latéral lent et continu, contrairement aux méandres de
fond de vallée alluviale, beaucoup plus mobiles.
A certaines périodes donc, la Seine creuse, incise, et
à d’autres elle abandonne des alluvions sur les rives
convexes. Les phases d’incision sont reliées à une
augmentation de l’altitude relative entre le niveau de
base (le niveau de la mer généralement) et le niveau
local du cours d’eau (et inversement pour
l’alluvionnement). Et ses variations de niveaux ont été
fréquentes durant les phases climatiques de type périglaciaire.
Au cours de l’évolution du fleuve, des recoupements
de méandres ont pu se produire, soit par exagération
de leur amplitude, soit par rotation de l’axe: il en
subsiste un bras abandonné, inactif appelé méandre
fossile. De nombreux exemples jalonnent le cours de
la Seine : par exemple l’ancien méandre du Marais Vernier.
Les affluents d’un fleuve commandent aussi la création ou l’évolution des méandres.
Cette morphologie est aujourd’hui figée : le débit actuel ne permet plus le creusement des rives concaves. Et le lit mineur est même séparé des pieds de falaises par une basse terrasse large d’une centaine de mètres. Il faut là encore se replonger dans l’ambiance périglaciaire pour comprendre l’intensité du creusement et le fait que seules les rives concaves crayeuses de la Seine, exposées au sud et sud-ouest, présentent une dissection en pinacles et monolithes aux pittoresques escarpements. Le plus bel exemple étant la boucle des Andelys.
Lors du dégel printanier, ces versants, perpendiculaires aux rayons du soleil et recevant de plein fouet les pluies, étaient la proie de ruissellements intenses conduisant au creusement de ravins parallèles, tandis que les rives concaves des méandres, exposées au nord et à l’est, restaient à l’abri des assauts climatiques.
Les réseaux karstiques
Durant cette même période, au fur et à mesure de l’enfoncement des vallées, le niveau des nappes aquifères a suivi le même mouvement. Cet abaissement a favorisé la dissolution du calcaire dans toute la zone aérée, formant des puits verticaux et des galeries horizontales alimentant un réseau souterrain qui donne des sources en bas de vallées.
Conclusion
La vallée de la Seine s’est donc modelée tout au long du Quaternaire. En raison du basculement du Bassin Parisien vers l’ouest, les reliefs de notre région sont principalement le résultat du transport des eaux sous des climats très variés. Ainsi des millions de tonnes de roches ont été évacuées vers la Manche et l’Océan Atlantique, empruntant cette gouttière où coule aujourd’hui la Seine.
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