Excursion à la découverte de la Boutonnière du Pays de Bray
Thème de la visite : géologie et patrimoine dans la partie Nord-Ouest de la Boutonnière
I - Lecture du paysage depuis les hauteurs du plateau de Caux (altitude 231 m).
Les mots d’Albert de Lapparent (géologue 1839-1908) nous mettent immédiatement dans l’ambiance « au bord d’une sorte d’abîme, au pied d’une haute falaise où apparaît le pays le plus verdoyant qu’il soit possible d’imaginer ! »
Suivons Albert de Lapparent dans son « analyse logique » du paysage.
1) Situation : au NO du Basin Parisien une « boutonnière » ourlée de cuestas, ouverte de St Vaast d’Equiqueville à Beauvais à travers les plateaux crayeux de Normandie, de Picardie et du Vexin.
2) Orientation SE/NO
3) Forme trapézoïdale et dimensions (Longueur:75km Largeur 2 à 12 km, point culminant sur la bordure nord très rectiligne : 246m)
4) Étagement de la végétation correspondant aux différentes couches de terrains visibles depuis ce point de vue :
- bois sur les hauteurs (craie du turonien : formation rare de foraminifères et de coccolithophoridés)
- cultures sur les pentes (marnes cénomaniennes et glauconie à la base). Nombreuses carrières à ciel ouvert pour l’amendement des sols acides et fours à chaux.
- prairies et tourbières dans les fonds humides (argiles de l’albien , argiles et sables du wealdien). NB : Le mot « bray » signifie « boue » !
5) Disposition des villages au niveau d’une ligne de sources à la base du cénomanien
6) Conséquences de la géomorphologie sur la vie des hommes : une agriculture polyvalente (50% céréales et 50% élevage) et donc, autrefois, une large autosuffisance dans les fermes isolées au milieu des collines
II - Deux régions bien distinctes de la Boutonnière nous attendent : le Bas-Bray au N.O. de Neufchâtel (terrains crétacés) et au S.E. la région des deux "croupes" constituées des terrains les plus anciens (crétacé inférieur et jurassique supérieur).
Mais avant de les aborder, un crochet inévitable depuis le plateau de Caux vers deux lieux renommés : Martincamp et Bully.
À la lisière de la forêt d’Eawy, sur le plateau, Martincamp et ses potiers connus dès le XVIème siècle pour la cuisson des « grès » obtenus grâce à une argile qui supporte une température de 1300 ° et produit des pots imperméables. Argile « tirée » au fond de la Boutonnière à Quiévrecourt dans les restes d’une lentille silto-argileuse wealdienne (Il s’agit d’un dépôt fluvio-deltaïque, et donc continental, du crétacé inférieur. Précisons que le terme de « wealdien » issu de la région du weald –S.E. de l’Angleterre— est la désignation ancienne d’un faciès côtier et continental daté du 1er étage du crétacé inférieur).
Les « tireurs » d’argile exploitèrent d’abord des carrières à ciel ouvert, puis creusèrent des puits étayés à l’aide de tonneaux sans fond, avant de s’avancer dans d’étroites galeries. L’argile beige, rouge ou noire à reflets verts était transportée, via Bully, à dos de cheval (150kg par panier) jusqu’à Martincamp-le-Vauchel où le bois de la forêt d’Eawy abondait pour le chauffage des fours. Notons de plus les Hayons tout proches, comme carrefour commercial pour l’exportation des grès. 200 potiers étaient recensés au XVIIIème siècle. Le dernier mourut au début du XXème siècle.
Au pied de la cuesta très abrupte, dans le Bas-Bray donc, Bully, pour son église gothique : choeur (XIIIème) nef et transepts (XVème, XVIème) construits dans un grès gris ocré tiré d’une carrière de grès thanétien (tertiaire) de la forêt d’Eawy.
Bully encore pour le site devenu célèbre des anciennes tuileries (et briqueteries) où les argiles noires de l’albien (dépôts marins du crétacé inférieur) ont révélé un gisement exceptionnel d’ammonites. Dans les années 58-60, M.Gérard Breton, directeur du Muséum d’histoire naturelle du Havre, aperçut un jour, sur un chargement d’argile arrivé de Bully pour alimenter les briqueteries du Havre, des éléments brillants : des ammonites nacrées ! Celles-ci ont alors donné lieu à des fouilles sauvages, causes d’accidents…et à un trafic très lucratif. D’où la fermeture du site en 1975.
Vivien nous a fait une passionnante présentation de ces ammonites remarquables : le niveau des argiles noires du Gault correspondait très certainement à un milieu abyssal. Ce niveau eutrophysé, privé d’oxygène et imperméable a permis une conservation parfaite des coquilles de gastropodes et de lamellibranches, mais surtout des ammonites avec une nacre intacte. Ceci, grâce, également, à une sédimentation ni trop lente ni trop rapide. Les genres recensés : Hoplites, Beudanticeras, Desmoceras, Douvilleiceras, Hamites, Ancylocéras. Quant à la nacre, elle est constituée d’aragonite, un polymorphe de la calcite.
Cadeau supplémentaire : un amateur collectionneur, rencontré dans une exposition villageoise, nous a ouvert son coffre de voiture empli de magnifiques fossiles locaux.
III - Remontée sur le plateau, traversée complète du Bas-Bray, du Haut-de-Fresles à la colline St Amador au-dessus de Mesnières-en-Bray.
Notre itinéraire suivra donc la succession des couches géologiques à l’extrême ouest de la Boutonnière : turonien, cénomanien (belle carrière de Bully), albien (argiles de Gault essentiellement) et wealdien. Dépôts du crétacé. Pas de dépôts plus anciens visibles.
Observation de la coupe transversale de Fresles à Mesnières.
Déductions :
La direction des couches permet par l’imagination de reconstituer l’anticlinal du Bray : un anticlinal asymétrique haut de 500, voire 600 mètres à l’époque tertiaire, « crevé » par l’érosion. Un pli dont le pendage s’accentue brutalement le long d’une faille sur la bordure Nord de la Boutonnière. Là, les diverses couches se serrent , « se succédant dans un espace trop restreint pour qu’il ait été possible de les distinguer » (d’après la légende de la carte géologique de Lapparent, 1879).
IV - Pique-nique improvisé dans notre maison familiale de Neuville-Ferrières
Pendant l’averse, à l’abri, explication de la formation des différentes couches géologiques du Bassin anglo-parisien soulevées puis mises au jour par l’érosion au niveau de l’anticlinal du Bray.
Les ouvrages des géologues chercheurs de l’institut Unilasalle de Beauvais ont largement alimenté notre grand tableau synthétique où apparaissent la profondeur, le mouvement des mers (alternance de transgressions et de régressions), les accidents tectoniques survenus dans le socle hercynien depuis le carbonifère, et les conditions climatiques. C’est là qu’intervient l’explication de la faille du Bray que borde la cuesta N..de la Boutonnière. Faille datant de -320 millions d’années, de direction N.O. S.E. et dont les rejeux ont provoqué, à différentes époques du secondaire et du tertiaire, des mouvements de subsidence et de surrection de son compartiment Ouest. Ceci jusqu’aux soulèvements pyrénéens et alpins.
Sur le terrain, le dimanche, plus à l’Est, à Beaussault, nous comprendrons que l’anticlinal du Bray est né de deux mouvements conjoints de serrage des couches contre le flanc N. et de coulissage des deux compartiments de la faille sur un axe N.O. – S.E.
Au sparnacien supérieur (base de l’éocène -52 millions d’années) l’anticlinal du Bray devenait définitivement une île. Auparavant, la mer thanétienne (-55 millions d’années) avait recouvert des niveaux de craie déjà émergés et érodés. L’anticlinal n’a donc pas attendu les poussées pyrénéenne et alpine pour se soulever.
Observation : la faille du Bray appartient à un ensemble de failles au Nord du Bassin Parisien. Celles-ci commandent la direction S.E.-N.O. des cours d’eau tous parallèles. Elle peut engendrer encore des tremblements de terre.
V - A la sortie Sud-Est de Neufchâtel, nous quittons le Bas-Bray.
Grès ferrugineux wealdiens et calcaires à lumachelles portlandiens, conjointement présents dans le bâti (maison, four à pain, granges) annoncent notre entrée dans les deux zones wealdienne et portlandienne indiquées au II.
- Une croupe wealdienne d’argile, de sable et de grès ferrugineux (crétacé inférieur) la « Vallée de Bray » (hauteur:150m).
- Une croupe de calcaires, grès et sables portlandiens ou tithoniens (jurassique supérieur) le Haut-Bray (hauteur:180m).
Fin d’après-midi consacrée aux argiles, sables et grès ferrugineux de la « vallée » de Bray (faciès wealdien).
Sur les hauteurs de St-Saire les grès rouges ferrugineux apparaissent dans les champs sableux , les sablières. Le bâti, du XIème au XVème siècle, témoigne de leur abondance : chapelle d’Hodeng, église de St-Saire, manoir de Neuville-Ferrières et demeures diverses où ces grès ont à la fois un rôle décoratif et architectonique.
Le pays de Bray a été chanté comme le pays du fer -n’oublions pas les pouvoirs de l’eau ferrugineuse de Forges-les-Eaux – fer présent déjà dans les terres, au sommet du jurassique supérieur à la fin duquel la mer s’est retirée : sables ocre ferrugineux et plaquettes gréseuses. Se forme ensuite au wealdien, sous un climat tropical désertique, une altérite ferrugineuse (ou croûte de fer).
Le fer, dans la soirée du samedi sera encore mis à l’honneur sous notre grange où un collectionneur passionné de Neuville-Ferrières a présenté sa belle collection de grès ferrugineux, loupes de fer, laitier, issus des bas et hauts-fourneaux du Moyen-âge. Il a expliqué les méthodes (directe puis, à partir du XVème, indirecte) de la production du fer et montré des outils issus de cette métallurgie.
Une autre table exposait une collection des variétés de pierres, argiles et sables collectés dans la Boutonnière : du jurassique supérieur au crétacé supérieur. Dans le four à pain, quelques poteries anciennes (drains, briques, tuiles, pavés …) illustraient la richesse des terres wealdiennes en argiles réfractaires. Saumont la Poterie, St Samson la Poterie, La Chapelle aux Pots : une toponymie très évocatrice.
VI - Soirée du samedi : repas et hébergement au château de Mesnières-en-Bray
Château Renaissance inspiré de celui de Chaumont-sur-Loire, tout de craie blanche (issue du turonien de la cuesta toute proche) et à la base imposante de grès Thanétien (grès tertiaire importé du plateau, comme à l’église de Bully). « Le XVIème siècle, l’âge du grès », Abbé Cochet.
Une visite très vivante des lieux, le dimanche matin, sous une belle lumière, avec vue sur la boutonnière du haut des combles, nous lance… vers le Haut-Bray.
Direction Beaussault au N.E. De Neufchâtel, la route suit le trajet de la faille et joue aux montagnes russes. Le paysage a changé, les reliefs du Haut-Bray s’affirment.
A notre gauche, la cuesta Nord au pied de laquelle les terrains crétacés se resserrent. Et, à notre droite, les dômes du portlandien (180m d’altitude) : le portlandien (jurassique supérieur), cœur le plus ancien de l’anticlinal, soulevé par serrages successifs et mis à nu par l’érosion sur les plateaux . Sur les pentes de l’un d’eux (aux Parquets), vue sur les couches étagées allant du portlandien supérieur (J9c) au portlandien inférieur (J9a).
En contrebas de la pente des Parquets, les hauts talus du chemin de St Jouarre constituent une coupe géologique idéale où nos marteaux éclatent des bancs de calcaires à lumachelles du portlandien moyen visible en quantité dans les murs des maisons de fermes anciennes et des villages du Haut-Bray.
VII - Repas du dimanche à la ferme de Louvicamp
Pour une dernière visite, nous sommes attendus à Compainville, au moulin du Trépied joliment restauré avec les pierres de son sous-sol du portlandien moyen. Monsieur et Madame Dozière, propriétaires, et Monsieur Charles, molinologue, ont présenté les moulins sous l’aspect historique et technique.
Ces moulins, autrefois très nombreux sur la Béthune (rivière principale de l’Ouest de la Boutonnière), ont été depuis les temps les plus reculés la force motrice essentielle de la région : leurs multiples activités sont emblématiques des grandes richesses que les hommes ont su tirer du sol et du sous- sol (broyage des céréales pour les bêtes, production de farine, concassage des grès ferrugineux pour l’extraction du fer, actionnement du marteau des forges, production d’huile, foulage des tissus avec l’argile à foulon, polissage des verres pour lunettes et miroirs, moulins à tan, moulins à papier, scieries).
De l’eau et des moulins…n’oublions pas le rôle du Haut -Bray comme château d’eau et celui de certains terrains de la Boutonnière comme réserves aquifères ( craie, gaize entre cénomanien et albien, sables verts et calcaires portlandiens si variés : calcaires lumachelliques à profusion, marneux, gréseux, sableux, argileux).
Pour profiter des derniers rayons de soleil sur le Bray, nous sommes montés sur le plateau de Louvicamp (altitude 160m) où le chemin des carrières trace une limite entre deux terrains différents : d’un côté le calcaire appelé « pierre de Louvicamp » (portlandien moyen) longtemps exploité pour la construction.
Et….. partageons une bonne bouteille de cidre autour de nos derniers trophées !
En conclusion, un week-end de découverte bien rempli, extrêmement sympathique, une invitation à d’autres périples pour mieux connaître cette Boutonnière, accident tectonique majeur du Bassin Parisien dont la richesse géologique a généré tant d’activités humaines.
Bibliographie succincte
- BRGM
- Forges-les-Eaux à 1/50000 XXI-10
- Neufchâtel à 1/50000 XXI-9
- 16ème édition du « Pomerol »
- Un nouveau regard sur la géologie (AGBP)
- Vol 45 n°3 septembre 2008 p7 à 21 « La Boutonnière du pays de Bray et ses entours »
- Christian Montenat. Institut Polytechnique LaSalle-Beauvais
- Coordination Yannick Vautier
- UniLaSalle
- Terre et sciences
- t.277 19 novembre 1973
- (Les ammonites de Bully)
- « Fondre le fer en gueuses au XVI ème siècle. Le haut-fourneau de Glinet en pays de Bray normand. »
- Panthéon-Sorbonne 2001
- « Les potiers de Martincamp. XVIIème XIXème siècle »
- Rouen 2010
- 10 octobre 2021
- Exposition à Neufchâtel en Bray
- GEVAC de Normandie
- Les faïences de Forges-les-Eaux au XIXème siècle
- Catalogue d’exposition 1998
- Élise Dallier, Anne-Gaëlle Dathée, Alain Joubert
Comments are closed.